Ayushi Modi est doctorante en deuxième année au laboratoire EconomiX, affiliée à l’Université Paris Nanterre et au CNRS, dans le cadre d’une convention CIFRE avec Suricats Consulting. Son projet de thèse, dirigé par Nadine Levratto, se concentre sur la transformation des modèles économiques d’entreprises vers des approches durables. Ayushi a eu la chance de participer au deuxième sommet du CESE – Impact Tank, organisé par le Groupe SOS en partenariat avec quatre grandes universités françaises (Sorbonne, Dauphine PSL, CNAM et Sciences Po). Elle nous partage ici son expérience et les enseignements tirés de cet événement.
Le deuxième sommet du CESE – Impact Tank a rassemblé des experts académiques et des acteurs du monde entrepreneurial. Pour une jeune chercheuse comme moi, cela a été une expérience très enrichissante. L’objectif de cet événement était de combiner l’expertise académique avec les connaissances entrepreneuriales afin de mettre à l’échelle les innovations sociales et les solutions durables.
Le sommet a débuté par le discours d’ouverture de Gabriel Attal, Premier Ministre, qui a souligné l’importance de l’impact mesurable et de l’écosystème des entreprises pour relever le défi existentiel de la réduction des impacts négatifs. Bien que les retombées du sommet aient été significatives, attirant plus de 4 000 visiteurs, 50 000 participants en ligne et 300 intervenants, j’ai trouvé que certains domaines clés n’étaient pas suffisamment développés.
En tant que jeune participante, j’ai trouvé que les discussions étaient en phase avec les aspirations des jeunes générations en quête de « travail avec du sens », incitant les entreprises à repenser leurs pratiques. Des organisations comme La Fresque du Climat et Admical ont utilisé des jeux interactifs pour sensibiliser le public aux enjeux d’impact. Cette approche engageante a particulièrement retenu mon attention, car elle démontre l’efficacité des méthodes innovantes et pratiques pour favoriser la sensibilisation.
Lors du sommet, il y a eu une cinquantaine de tables rondes enrichissantes avec des ministres, des représentants de grandes entreprises, notamment associées à l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), des associations, des administrations, des universités et des ONG. Cependant, j’avais des attentes plus élevées en ce qui concerne les solutions concrètes mises en œuvre par les grandes entreprises, en particulier par le CAC 40 français. J’ai été déçue par l’absence notoire de ces entreprises sur les panels présents. Cette absence souligne un écart significatif en termes de représentation et d’engagement des grandes entreprises. Cela pose un problème, car même si les petites entreprises proposent de nombreuses mesures vertes, elles n’ont pas le même impact que les grandes entreprises, notamment sur la chaîne d’approvisionnement et sur l’orientation préférentielle des clients. De plus, parmi les représentants des grandes entreprises présents, seuls quelques-uns ont plaidé avec enthousiasme pour des transitions rapides et radicales, les autres se contentaient de reconnaître la nécessité de la transition. Sur cette base, la question qui se pose est la suivante : Pourquoi ces entreprises n’arrivent pas à mieux prendre en compte ces enjeux ? Que peut-on faire pour les aider à être plus impactante ?
Ce qui m’a le plus marqué ce sont les discussions sur la nécessité d’une mesure d’impact globale à l’échelle nationale. Je pense que les outils existants, comme le PIB, sont insuffisants. Cette analyse a été partagé tout au long de diverses sessions, qui ont mis en lumière le fossé existant dans la mesure de l’impact social au niveau national. Les chercheurs, dont Gilles Bœuf de la Banque de France, ont souligné la nécessité d’indices qualitatifs et consolidés pour évaluer l’impact total au niveau national et au niveau des entreprises. Une proposition marquant pour moi a été le « Score d’Impact » formalisé par Impact France, qui mesure l’engagement à 360° en mettant l’accent sur l’aspect de gouvernance en ESG. Déjà utilisé par 4 500 entreprises et la région Occitanie (pour l’attribution des fonds aux nouveaux projets), cet indice pourrait considérablement faire avancer la mesure d’impact en consolidant les mesures existantes en un outil complet.
Une question qui n’a pas été suffisamment abordée est celle de l’intégration des nouvelles mesures d’impact social et environnemental avec les exigences de reporting existantes. Cette disparité était évidente dans des sujets comme la CSRD, où l’insatisfaction face aux processus administratifs était prévalente. À propos de la CSRD, un représentant de Nexity a déclaré : « La complexité de ces déclarations constitue un obstacle important à l’adoption de pratiques vertueuses. Ce n’est qu’une autre feuille d’Excel que nous devons remplir et qui nous coûtera cher. Avec le reporting extra-financier, on nous demande de faire cela, c’est beaucoup trop ! » Il y avait un besoin évident de compléter le panel présent afin de démontrer la différence entre les normes de reporting actuelles et la CSRD, ainsi que des démonstrations pratiques de leur mise en œuvre sans trop de tracas. Les aspects techniques de la comptabilité extra-financière et les master classes pratiques auraient été bénéfiques pour une meilleure compréhension.
Certains représentants ont fait preuve de sincérité, tandis que les discours d’autres participants semblaient plus performatifs que sincères. Par exemple, le modèle de Carton Vert qui consiste à réutiliser les cartons des PME et ETI était inspirant. Ils ont présenté leur modèle en démontrant des avantages environnementaux tangibles ainsi que des profits financiers.
Ce qui m’a le plus frappée, c’est que l’été dernier, j’ai assisté à l’UEED 2023 (Université d’été et d’économie de demain), où les mêmes entreprises ont abordé des sujets similaires, notamment en relation avec la circularité et les entreprises régénératives. Axa Climate et Carton Vert étaient à nouveau présents pour discuter de leurs stratégies. J’en déduis que les mêmes acteurs dominent ces discussions, avec peu d’autres qui suivent. Cela soulève la question suivante : Où sont les autres acteurs innovants et pourquoi ne sont-ils pas représentés sur les panels ?
J’ai apprécié la diversité des sujets abordés, tels que l’impact territorial, l’intelligence artificielle générative, la transformation numérique pour la sobriété sociale, les entreprises régénératives, l’avenir du travail et les nouveaux indices d’impact consolidés. Cependant, j’ai trouvé que le sommet était trop vague et manquait de précision concernant les méthodes proposées pour la transition des modèles économiques. Sur chaque discussion on comptait des experts académiques et des représentants d’entreprises, offrant ainsi une perspective équilibrée, mais il n’y avait pas assez de nouveaux exemples ou de stratégies innovantes proposés. Cette question des nouveaux modèles économiques a été peu traité par les grandes entreprises présentes.
En conclusion, le fait que les enjeux climatiques et sociaux soient abordés dans un cadre politique témoigne de leurs importances grandissantes au sein de la société actuelle. Bien que la vision holistique et la collaboration à grande échelle du sommet soient cruciales pour comprendre la symbiose entre les secteurs, il est urgent de développer de nouvelles méthodes pour remplacer les pratiques obsolètes comme l’indicateur du PIB, en particulier parmi les grandes entreprises. En tant que chercheuse travaillant dans le domaine depuis plus de deux ans et ayant assisté à de nombreux sommets, je pense qu’il est grand temps que ces sommets passent du niveau « introduction/débutant » à des discussions plus critiques et techniques.
Une prochaine piste de réflexion pourrait commencer par une analyse des caractéristiques structurelles qui déterminent si les entreprises s’engagent dans la transition écologique. Dans ma thèse, j’aborde cette question sous l’angle analytique en exploitant les bases de données d’Ipsos (sur le territoire européen) afin de comprendre quelles sont les caractéristiques qui font qu’une entreprise est plus prête à entreprendre des mesures de transition versus une autre entreprise. Mon analyse initiale démontre que les petites entreprises sont plus agiles et entreprennent ces mesures plus ouvertement que les moyennes et grandes entreprises (c’est en lien avec ce que j’ai observé aux sommets). Je constate un écart de maturité de la transition entre les entreprises françaises et nordiques (suédoises et norvégiennes). Cela semble lié à leur avancement en matière de production de produits et services verts, d’embauche de salariés verts et de mise en œuvre d’actions vertes en entreprise.
Un prochain article illustrera plus ces résultats et leurs implications. Restez à jour sur ces sujets en consultant notre site web.