Jouer avec les futurs, les imaginer, les transgresser et les fantasmer pour générer le débat et les réactions afin de mieux pouvoir toucher du doigt les nouvelles expériences que nous pourrions mettre en place, tels sont les objectifs du Design Fiction.
Future is playground
"Le Design Fiction est une approche prospective (visant à faire émerger des idées en imaginant une situation future) utilisant les techniques du design, du prototypage, de la narration ou encore de la vidéo."
A la croisée entre le design et la science-fiction, le Design fiction, pratique nommée pour la première fois par l’américain Bruce Sterling dans les années 2000 fait de plus en plus parler d’elle.
En 2002, un exemple particulièrement significatif a montré l’impact direct et collectif du Design Fiction : il s’agit du projet The Audio Tooth Implant par Auger-Loizeau.
Basé sur la culture populaire (à savoir dans ce cas, les techniques d’odontologie et la mise en abîme de technologies existantes et opérables telles qu’un récepteur basse fréquence (150kHz) ou encore un dispositif de micro-vibration piézo-électrique), les deux jeunes designers ont imaginé un implant dentaire comme moyen de communication reposant sur le phénomène de transduction osseuse.
Ils ont ainsi considérablement travaillé leur concept (scientifiquement, médiatiquement et en proposant des usages réalistes) et ont fait l’objet d’articles dans la presse tech internationale Wired et le Time Magazine.
Ce coup de pub improbable leur a permis de récolter débats, avis d’experts dentaires et visions d’usagers quelque peu effrayés. Cela s’est donc révélé être un bon moyen pour cristalliser le débat autour de l’usage d’une technologie potentielle.
Plus récemment, la sortie en 2011 de la série Black Mirror a relancé les discussions sur les dérives que pourraient engendrer les nouvelles technologies dans notre quotidien d’être humain.
La méthode du Design Fiction s’appuie ainsi sur les imaginaires de la Science-Fiction pour projeter les usages futurs liés aux nouvelles technologies, et invite à créer des univers et expériences cohérents et vraisemblables pour tester des hypothèses sur l’avenir.
Réel outil de projection et in fine de prise de décision, la méthodologie est de plus en plus utilisée dans les entreprises.
Projetons-nous de manière concrète grâce à un récit inspiré d’une expérience réalisée par l’agence Casus Ludi :
Imaginez, vous êtes en 2035, le droit à l’euthanasie a été voté en France, les groupes industriels et les startups se sont accaparés du sujet et ont développé de nombreuses technologies donnant la possibilité aux personnes le voulant de se donner la mort quand elles le souhaitent, et l’une de ces entreprises a fini par dominer le marché.
C’est un bracelet connecté, connecté à quoi ? À votre cœur, une simple pression sur le bouton positionné au niveau du fermoir déclenche un arrêt de ce dernier. L’objet est beau et designé par l’un des designers les plus populaires, on se l’arrache pour le posséder, certains l’enferment dans un écrin à l’abri et d’autres le portent chaque jour pour être en mesure de réagir en cas d’attaques terroristes ou d’accidents graves afin de s’assurer de ne pas mourir dans d’atroces souffrances. Le port du bracelet est devenu monnaie courante chez les sportifs de haut niveau et de sport extrême, c’est comme cela qu’un des plus grands alpinistes est décédé il y a quelques mois, il a préféré l’arrêt cardiaque à l’hypothermie.
Et vous, pourquoi achèteriez-vous ce bracelet ? Pour vous rassurer peut-être ? Ou bien si vous ne le faites pas, est-ce par peur d’appuyer malencontreusement sur le bouton ou de gâcher votre vie au premier moment de désespoir ? Et si quelqu’un appuyait sur votre bouton sans qu’on le sache comment considérer cet acte. Un meurtre ? Un accompagnement ? Et enfin, apprécieriez-vous d’être à l’origine d’une telle technologie, donner le pouvoir de mort à qui le souhaite ?
C’est grâce à ce processus de projection que nous pouvons anticiper les possibles impacts d’une décision de loi qui pourrait être à l’origine d’innovations d’expériences discutables, effrayantes ou parfois très cohérentes avec ce que l’on anticipe de notre avenir.
En tant qu’entreprise, le design fiction nous permet donc d’aller plus loin dans nos processus de création : il nous invite à vivre de manière très concrète une innovation au travers d’expériences ou de récits fictifs. Cette projection est un moyen de mieux s’approprier de nouveaux concepts via l’immersion (par exemple : déploiement d’un produit, d’un service, d’un processus,…), d’anticiper de potentielles dérives ou effets de bords (qu’ils soient positifs ou négatifs), de mesurer plus concrètement la proposition de valeur de la nouvelle expérience et enfin, de prendre conscience des transformations à opérer pour y arriver.
Le Design Fiction est donc vecteur d’innovation, de création et catalyseur de discussions/réactions dans un objectif d’innover au service de l’humain et non de le desservir !
Design fiction : retour sur notre exercice pratique avec Alain Damasio
Et oui, on parle bien d’Alain Damasio, l’écrivain de science fiction engagé, auteur de la « Horde du Contrevent », cette œuvre rare et sans équivalent dans la littérature des imaginaires.
Quoi de mieux pour s’approprier et éprouver l’approche Design Fiction que la mise en pratique, sous le regard et la houlette du maître des utopies et dystopies futuristes ? Ainsi cornaqué, le collectif Suricats s’est prêté à l’exercice de la fiction.
L’objectif ? D’abord, poser le décor en assimilant la mécanique permettant de créer un univers à la fois futuriste et probable. Ensuite, imaginer une fiction prenant place dans cet univers.
Pour concevoir cet atelier de travail, nos deux designers Chloé et Margaux ont travaillé en étroite collaboration avec Alain Damasio, que nous avons eu le plaisir d’accueillir en personne lors d’un MBA Suricats.
Pour construire notre fiction, nous avons procédé en 4 étapes, avec une succession de questions en entonnoir, nous permettant de bousculer progressivement nos imaginaires et de construire un récit probable, logique et cohérent.
ETAPE 1
Le choix du contexte (sur la base de prémices d’histoires SF rédigées par Alain Damasio pour nous inspirer) et une carte « objet technologique » sortie de notre jeu le D-Story (jeu regroupant des personnages, des éléments déclencheurs, des thèmes et des objets technologiques pour accompagner la génération d’idées dans un contexte d’écriture de récit) et là aussi nourri par les idées futuristes d’Alain Damasio.
ETAPE 2
À partir de l’objet technologique, nous nous sommes prêtés à un premier brainstorming afin de définir le champ lexical des émotions qui lui seraient associées, les problématiques que cet objet pourrait engendrer et les univers qui pourraient lui être rattachés.
ETAPE 3
Nous avons ensuite fait le choix d’une carte « lieu » (ex. un parking) et d’une carte « thème » (ex. la smart city) dans le D-Story.
ETAPE 4
Enfin, nous avons fait le choix d’un personnage et d’un élément déclencheur de notre histoire. A ce stade, tous les éléments étaient réunis pour démarrer l’écriture de notre fiction, là encore de manière guidée, en suivant une structure d’histoire que nous avions posée préalablement (ci-contre, une dystopie).
C’est ainsi que le collectif Suricats a imaginé 6 fictions futuristes, largement inspirées et basées sur les possibilités des nouvelles technologies existantes, émergentes ou anticipées.
L’occasion de débats et de discussions passionnés lors de notre après-midi avec Alain Damasio le 16 mars dernier.
Si la nouvelle était le format de restitution que nous avions choisi pour cet exercice de design fiction collectif, le résultat et son support peuvent être tout autre. Nous aurions pu imaginer la une d’un journal (voire un journal entier), un spot publicitaire, une expérience live, un objet, une maquette, etc…
Le tout étant de projeter concrètement et de manière plausible de nouveaux usages dans un contexte futuriste.
Envie de vous essayer au Design Fiction ?
Suricats Consulting peut vous accompagner demain dans votre propre exercice de Design Fiction, par le biais d’une méthodologie à la fois ludique et encadrée. Il suffit d’une ou deux demi-journées à un petit groupe pour imaginer de nouvelles expériences, produits, services, processus (…) répondant à vos enjeux d’innovation.
Nous adaptons ensemble la méthode à votre contexte et à vos besoins afin d’imaginer les meilleurs scenarii de design fiction, explorer les impacts des idées qui en émergent et prendre les bonnes décisions les concernant.
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Pour aller plus loin
Une fausse UNE
La fausse Une du New York Times de Yes Men en 2009 qui annoncent la fin de la guerre en Irak dans un objectif de provocation et pour faire réagir les lecteurs. Les auteurs l’auraient aussi écrit pour « encourager l’administration du président démocrate Barack Obama à tenir ses promesses » selon l’agence Associated Press.
Un court-métrage
Le court métrage de Simone Rebandengo « Teacher of algorithms ». Cette vidéo fiction pose les questions suivantes : pouvons-nous demain dresser nos objets pour qu’ils soient plus performants et répondent au mieux à nos attentes ? Les produits connectés, le sont-ils dans le but de nous faciliter la vie ou sont-ils plutôt le fruit d’une compétition de marques qui auraient d’autres arrières-pensées ?
Une conférence
La conférence « Design Fiction et IOT » d’Olivier Wathelet. Olivier Wathelet est anthropologue, doctorant à l’Université de Nice-Sophia Antipolis et membre du LASMIC (Laboratoire d’Anthropologie et Sociologie : Mémoire, Identité & Cognition sociale).