Nous terminons notre série avec le regard de Clémence, consultante en transformation agile chez Suricats. Dans cette courte interview, elle nous dévoile les origines de son engagement et la manière dont elle instille de l’impact positif au quotidien sur ses projets menés en méthode « agile ». Son credo : aller vite et produire de la valeur c’est bien, mais ni au détriment du bien-être des équipes sur le projet, ni en sacrifiant les ressources de notre planète !
Numérique à impact positif : le regard de Clémence, consultante en transformation agile chez Suricats.
Interview menée par Malcolm, partner chez Suricats Consulting.
Quand as-tu pris conscience de l’impact du numérique sur la planète et ses habitants ?
Je dirais que cela fait trois ou quatre ans. Jusque-là je lisais et je pensais que le numérique pouvait aider le monde. On parlait de « IT for green » ou de « la technologie au service de la planète ». En tant que consultante dans le numérique, ça m’inspirait. Mais rapidement j’ai aussi vu le revers de la médaille : le numérique pouvait également avoir un impact négatif.
Sur les gens tout d’abord. C’est au même moment que j’ai entendu parler d’illectronisme (illettrisme numérique, ndlr), ce phénomène responsable de ce qu’on appelle aussi la fracture numérique, qui renforce les inégalités et peut conduire à l’exclusion sociale. Cela touche des millions de personnes en France. Soit parce que l’équipement leur fait défaut (accès, terminaux) ou bien parce que manipuler le tout numérique représente en soi une difficulté pour ces personnes.
Et bien sûr, impact négatif sur l’environnement. Ces téléphones qui trainent au fond de nos tiroirs alors qu’ils fonctionnent encore, l’usage massif des données qui transitent sur les réseaux et la consommation d’énergie associée…
Comment cela se traduit-il dans ton engagement et tes actions au quotidien ?
J’étais végétarienne depuis longtemps, donc de ce côté-là pas de changement ! En revanche, j’essaie de prolonger au mieux la durée de vie de mes outils, et de me satisfaire de leur version actuelle. D’ailleurs, je n’ai pas changé de téléphone ou d’ordinateur depuis 4 ou 5 ans. Récemment je suis passée sur un forfait qui bloque la consommation des données mobiles à 5 Go. Et je ne les utilise même pas !
Aussi, je pratique un nettoyage régulier de mes boîtes mail et j’utilise des moteurs de recherche plus responsables tels que Lilo ou Ecosia, même si je suis consciente que ce n’est qu’une petite goutte d’eau.
Chez Suricats tu es responsable de nos offres de services qui promeuvent des pratiques agiles encore plus « vertueuses » dans les projets. Peux-tu nous expliquer de quoi il s’agit ?
Oui, c’est ce qu’on appelle « l’agile engagé ». Je pratique les méthodes agiles depuis longtemps et je trouvais que l’on prenait peu en considération l’impact environnemental des produits numériques sur lesquels on travaillait.
Même constat sur le mode de travail prôné par l’agile : je voyais que ces méthodes, si elles accéléraient la vitesse des projets, pouvaient avoir un impact négatif sur le bien-être de ceux qui les pratiquent au quotidien. La course au « time to market » peut avoir un effet aliénant, même si à la base l’agilité permet d’améliorer la coordination des équipes et les focalise sur des objectifs clairement exprimés et partagés.
Quelles actions ou exemples concrets peux-tu nous donner ?
Par exemple, si tu construis une nouvelle application mobile, faire preuve d’engagement peut simplement passer par la transparence sur l’usage qui est fait des données. Certains appellent ça faire une « appli honnête ».
Sur le côté « humain » j’ai récemment démarré un projet agile chez un client, par un atelier de quatre heures dédiées au bien-être de l’équipe. On y a parlé de nos états d’esprits respectifs, de nos envies individuelles. Parce qu’avant de parler d’équipe agile, il faut parler de l’équipe et de ses besoins.
Sur d’autres projets, on pourrait prendre le temps de poser des indicateurs chiffrés pour mesurer et maîtriser l’impact de l’appli que nous construisions. On a ainsi défini les métriques RSE de notre produit : consommation énergétique, poids des pages, niveau d’inclusion par rapport au RGAA (le référentiel d’accessibilité numérique français, ndlr), rétro-compatibilité avec la flotte de mobiles pour que l’appli puisse tourner sur de vieux OS ou terminaux…
En pratique, comment cela se concrétise-t-il en agile ? Je sais que tu as adapté le framework agile SCRUM pour le rendre plus vertueux sur ces axes…
En effet, dans notre framework « agile engagé » on a d’abord ajouté deux ateliers fondateurs en début de projet. Dans le premier, on doit écrire quelle est notre intention en matière d’impact positif. Celle-ci doit être formulée à un assez haut niveau, et surtout être inspirante. Par exemple, « réduire les émissions de gaz à effet de serre au minimum » ou « rendre l’application la plus inclusive possible ». Dans le second, on décline cette intention sous la forme d’indicateurs pour suivre l’atteinte de l’ambition fixée.
Ensuite, une fois les sprints lancés, on adapte certains rituels existants plutôt que d’en créer de nouveaux (en méthode agile SCRUM, les sprints désignent une période fixe de 2 ou 3 semaines pendant laquelle une liste de développements informatiques, basés sur des user stories, doivent être réalisés et testés, ndlr). Pour les rituels de sprint planning et de backlog refinement on a par exemple introduit le « impact poker » : un jeu de cartes qui permet à l’équipe d’évaluer rapidement si la user story a un impact sociétal ou environnemental favorable, neutre ou défavorable.
Un autre exemple, c’est au moment de la rétrospective de fin de sprint (un rituel d’environ une heure qui permet de faire le bilan du sprint pour analyser ce qui s’est bien et moins bien passé avec comme objectif de s’améliorer pour le sprint suivant, ndlr) : nous y avons ajouté une section « la planète vous dit merci », pour être sûrs de travailler aussi des pistes d’amélioration sur le volet impact social et environnemental.
Dans la pratique, comment a-t-on un impact positif chez les clients en tant que gestionnaire de projets agiles ?
Au quotidien, ça passe par ma capacité à orienter les échanges et à évangéliser. Les clients sont réceptifs, mais notre posture « engagée » reste avant-gardiste. Pour être honnête ça reste difficile, j’aimerais avoir encore plus d’influence.
Aujourd’hui je me vois comme un « poil à gratter », je pose les questions qui dérangent. Par exemple, sur un projet de refonte d’un programme fidélité, assez naturellement, on a souhaité récompenser la fidélité par des bons d’achat. Mais ce type de mécanique incite à ré-acheter et à plus consommer. Alors que l’on pourrait orienter le programme de fidélité vers de la consommation plus responsable : par exemple, utilisation de ces bons dans certaines conditions comme l’achat d’un produit durable, la réparation de son matériel, ou pour faire des dons.
Quand plus de consultants commenceront à en parler, quand les équipes chez nos clients trouveront aussi leurs évangélisateurs, alors on verra s’accélérer la prise de conscience. Cela nécessite aussi que nous soyons encore plus experts pour être encore plus crédibles et pertinents. Cela passe par la formation, la pratique et le recrutement de profils experts.
Pour finir, aurais-tu un dernier mot à partager avec nous ?
Trois mots : force, courage et résilience !